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5 avril 2010 1 05 /04 /avril /2010 13:42

suite 3 et fin

LYON, MAI 2010

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       Cher Michel, cher Hervé,

 

       C'est absolument bouleversée que je suis sortie de votre re-présentation des Récits de la Passion, au point que je n'ai pu vous écrire immédiatement, comme vous le voyez d'ailleurs ! Ce spectacle était à la fois émouvant, poignant et déchirant : il mettait en scène la douleur comme on la vit, et non comme on l'imagine, ainsi que l'Espérance qui, chaque jour, guide nos pas.

 

       Votre jeu était une véritable prouesse, sans une seule minute de flottement, qui tenait les spectateurs en haleine du début à la fin de la pièce. Ce qui s'est déroulé dans la crypte était si intense que chacun a dû ressortir avec une impression de plénitude et d'apaisement, croyant sans aucun doute n'être resté que quelques minutes.

 

       Vous portiez avec vous toutes les questions, toutes les douleurs, tout l'espoir, toute l'âme de l'humanité. Vous nous avez montré tout à la fois les deux grandes facettes de l'être humain, telles que Baudelaire les définissait, à savoir "deux postulations simultanées, l'une vers Dieu, l'autre vers Satan", tout en nous apportant un sentiment de charité et de bonté. Après s'être enthousiasmé en votre compagnie, on ne peut plus regarder l'Homme de la même façon... Mais n'est-ce pas le but de tout comédien et de tout metteur en scène que de révéler aux spectateurs la société qui l'entoure ?

 

       Votre talent n'est plus à prouver ni à commenter : il nous porte vers une meilleure compréhension du monde, nous pousse toujours vers un au-delà auquel nous aspirons tous. Et les mots prononcés ce soir-là, tant ceux de Charles Péguy que les vôtres, Michel, m'ont totalement troublée et m'ont poussée à me remettre en questions. Que l'on soit croyant ou non, on est forcément interloqué devant une telle force de paroles, surtout à quelques jours de Pâques. C'est l'Amour et la foi en l'Homme qui nous restent lorsqu'on repense à cette soirée passée en votre compagnie : on ressent toutes les souffrances du Christ lors de la Passion, et l'on ressent également toute la portée du mystère qui prend vie sous nos yeux. Ce n'est pas un cri, ce n'est pas une révolte que vous représentez, c'est un véritable hymne à l'Amour, haletant, lyrique, fracassant qui s'incarne dans le Verbe. On aurait quasi pu fermer les yeux pendant toute la re-présentation pour se nourrir et se laisser bercer par les mots et par vos deux voix, symbole de l'âme humaine. Dans un lieu comme celui où vous nous invitez, comment ne pas se laisser envahir par une émotion viscérale, fascinante, par une agitation convulsive qui nous fait verser des larmes qui nous lavent à la fois les yeux et le coeur ? Ces larmes font fondre sa dureté, font de ce coeur de pierre un coeur de chair. Elles nous rapellent que nous sommes sensibles, vulnérables, émotifs, compatissants, traits de caractère que nous avons trop souvent tendance à refouler et que vous nous renvoyez en pleine figure, comme pour nous ré-apprendre ce que nous sommes réellement.

 

       Quant au texte proprement dit, s'il est, dans son ensemble, absolument fascinant, deux passages m'ont particulièrement touchée, et je veux vraiment vous remercier tous les deux. Vous, Michel, pour les avoir écrits, et vous, Hervé, pour les avoir déclamés : ce sont les passages qui concernent Judas. Judas le mal aimé, Judas le rejeté, Judas l'incompris. Depuis toujours, je ressens une affection toute particulière pour celui qui est resté dans la conscience populaire uniquement comme un traître. Pourtant, il est avant tout un apôtre, et c'est surtout celui sans qui rien ne serait arrivé s'il n'avait pas livré Jésus. Quand on soutient ce type de propos, en général, on est rgardé comme un phénomène : comment peut-on aimer, voire admirer ! un tel salaud ? Cette tendresse ressentie pour cet homme doit presque rester cachée, comme si elle était honteuse... Tout le monde oublie trop vite qu'au bout du chemin, Judas, rongé par le remords, a été le premier apôtre à rejoindre Jésus dans la mort... On pardonne sans aucune difficulté la trahison réitérée de Pierre, mais on juge Judas, on le déteste, on le renie. Ces vers, Michel, réhabilitent enfin cet ami, rappellent pourquoi il a accompli ce geste, perticulièrement quand vous écrivez : "Il te faut me livrer pour ne trahir personne". Dorénavant, grâce à vous Michel, j'ose enfin clamer haut et fort ma sympathie pour cet homme. Dorénavant, quand je pense à lui, c'est votre voix, Hervé, que j'entends, c'est toute l'émotion que vous mettiez à le défendre qui m'accompagne.

 

       L'association de ces deux textes est fascinante pour nous, profanes quant au discernement de leur sens profond. Nous pressentions une merveille et, grâce à vous, Michel et Hervé, nous avons eu accès au sublime. Merci pour cette déferlante d'émotions toujours renouvelée en votre présence.

 

       Très cordialement,

Anne-Claire Gourry

suite 2 :

 

LA QUADRATURE DU CERCLE
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Propos sur Récits de la passion, de Charles Péguy et Michel Béatrix,

avec Michel Béatrix et Hervé Tharel, mars 2010

 

       Arriver bien avant le début du spectacle, fermer les yeux et se laisser gagner par le silence de la crypte de l’église Saint-Joseph des Brotteaux. Peu à peu, les spectateurs vont s’installer. Après le silence, les murmures. Et, déjà, le récit commence, grâce à ces murmures. Fermer les yeux : quand Marie de Magdala et Salomé s’approchèrent du tombeau où avait été enseveli le corps de Jésus (Marc 16-1), elles ne devaient pas parler d’une voix plus forte que ces visiteurs du soir assis dans la pénombre, dont le regard est irrémédiablement attiré par un drap blanc qui gît au sol.

 

       Michel Béatrix et Hervé Tharel, beaux aèdes vêtus de lin et de fil de coton, arrivent à leur tour pour réciter la Passion. Et déclament, et réclament. Ils déclament la douleur du Christ en Croix et de Marie, mère effondrée et martyrisée. Ils réclament la vérité de ces douleurs. Pour qui ? Pourquoi ? « Les romains n’étaient pourtant pas si méchants ». Le jeune charpentier était la fierté de ses parents. Puis, il y eut « la » mission. « Mission », terme scandé par Michel Béatrix, obstinément.

 

       A l’origine, ces Récits de la Passion sont d’une double source : des extraits du Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc, de Charles Péguy, et Avant-dernières Paroles de l’Homme, texte inédit de Michel Béatrix. Sur scène (nous avons hésité un instant à écrire « sur Cène »), ces deux textes résonnent comme les deux interprètes se font écho dans la déclamation. Ces deux textes s’embrassent comme les deux comédiens se congratulent. Et c’est cette mise en Cène (osons-le maintenant) qui fait de cette pièce, contre toute attente, un spectacle moins poétique, en fin de compte, que politique. Quand il est question de la vie et du sort de l’Homme, dans la cité (serait-elle céleste, elle n’en est pas moins d’abord terrestre car Jésus est déjà là quand deux ou trois se trouvent réunis en son nom – Matthieu 18,20), ne s’agit-il pas de politique ? Pendant les représentations de ces Récits de la Passion, dans cette crypte austère, nous ne sommes pas seulement dans le mystique, mais bien principalement dans le politique, dans le sens le plus élevé qui soit. Où l’enjeu dépasse l’intention…


       Relevons au passage que le terme « représentation » est ici abusif. Béatrix et Tharel ne jouent pas. Ils ne sont pas dans la représentation, mais dans la "présentation", à entendre dans l’esprit de la Présentation de la Vierge Marie au Temple.

 

       Ces Récits de la passion, on l’aura compris – nous l’espérons – est une pièce extraordinaire, dans le sens premier du terme. Nous ne sommes pas dans l’ordinaire, à tout point de vue, et théâtral, et liturgique. Michel Béatrix se situe d’emblée, par la disposition scénique, dans une perspective alternative : plutôt que de s’inspirer (et cela aurait été très légitime déjà) d’une trinité évidente et rassurante, il installe son public en rond autour d’un espace de jeu quadrangulaire. On peut ne pas y être consciemment sensible, mais cette quadrature du cercle n’est pas la moindre des contestations au conformisme actuel, responsables probables de notre résignation et de notre désarroi contemporains. Comme un appel à la résistance.

 

       Et attendre, la main de Joseph d’Arimathée posée sur votre épaule, que les derniers spectateurs se retirent ; et goûter au silence du tombeau, cette fois vide, après la résurrection du Christ.

Christian-Yves Pratoussy

*

suite 1 :

 

ENTRE TOPLESS ET BURKA

LE NU FAIT D’EBATS DANS LES VOIX DU MILIEU

 

ENTRETIEN AVEC MICHEL BEATRIX PAR PAUL AYMIC

 

Paul Aymic : Michel Béatrix… l’affiche que vous avez conçue pour annoncer votre dernière création « Les Récits de la Passion » semble donc avoir provoqué quelques réactions… dirons-nous : négatives ? De rejet ?

 

(Rire de Michel Béatrix)

 

Michel Béatrix : J’en ris aujourd’hui, maintenant que vous m’en parlez, que je dois en reparler… mais j’avoue que le réflexe – que je dirai animal – avec lequel elle a pu être parfois reçue m’a plutôt blessé.

 

P.A : Pourquoi, comment cela ?

 

M.B : Une intuition artistique - et pour moi donc : spirituelle - que l'on veut censurer est un acte qui relève d'un désir de mutilation... ça c'est pour la blessure. Cela révèle aussi l'existence de mutilations opérées au secret de certaines sensibilités qui souffrent surtout d'en souffrir seules et sans le savoir.

 

P.A : Que s’est-il passé ?

 

M.B : La nudité, dès lors qu’elle ne sert pas à vendre des sous-vêtements ou des produits d’hygiène corporelle ou du rêve ou des vacances ou… n’importe quoi qui s’inscrive dans une démarche commerciale, sinon vénale ou mercantile, la nudité gène, provoque des réactions de rejets, d’hostilité, de points arrêtés et morts sur les passages protégés des volontés de non-compréhension, de non-écoute.

 

P.A : On peut regretter mais aussi comprendre que certaines sensibilités puissent être offusquées par la nudité affichée.

 

M.B : Moins offusquées par la nudité qu’effrayées par l’interpellation au retour à soi-même à laquelle elle les invite. Des voix de protestations se sont en effet élevées contre l’annonce des Récits de la Passion, placée sur l’affiche entre les parenthèses basses et hautes de deux nudités jumelles et opposées ; elles se sont élevées sans d’ailleurs rien élever d’autre que quelques clapotis de vagues ; elles n’ont élevé ni ceux qui les ont émises, ni aucun des rares qui les ont entendues ; ces voix se sont enflées d’envie de polémique plus qu’elles n’ont souhaité élever au moindre débat ; ces voix se sont écrites et postées comme des mains auraient voulu bâillonner, sinon étrangler à tant enrager de s’étrangler seules. Mais bon : Dieu reconnaitra les siens, et si je ne fais pas partie du lot au premier voyage, je sais qu’il m’expliquera pourquoi et saura me faire décrocher mon paradis au repêchage.

 

P.A : Et donc…?

 

jugement-dernier-michel-ange-buonarroti-1.jpgM.B : La fresque numérique de Aymeric Giraudel – qui, je le rappelle, procède de la même démarche artistique, du même modernisme pour illustrer l’Apocalypse de Jean, que celle et celui de Michel-Ange à son époque pour proposer à ses contemporains une illustration du Jugement Dernier dont est orné le mur de l'autel de la chapelle Sixtine – cette fresque m’est tombée sous les yeux sans que je la cherche. Le hasard (auquel je ne crois pas en tant qu’accident gratuit) m’eût pu proposer une autre image de foule, de lynchage, de folie que celle-ci pour imager l’accompa- gnement bestial de la montée au Golgotha. Mais ce n’eût été qu’une illustration faussement historique, sociale, et donc malgré tout rassurante, parce que représentatives de normes connues et reconnues. Les causes, les déchaînements de la montée au Golgotha dépassent… ou plutôt sont très en-deçà de ces deux plans-là. Ils sont précisément dans l’homme animal dépouillé, privé, amputé de son humanité : à nu !

 

P.A : Les corps chez Giraudel sont d’une beauté qui dément la laideur, la sauvagerie que vous voulez illustrer, dénoncer… ?

 

Eccehomo1M.B : Je trouve qu’ils ont la beauté hypnotique des pulsions grégaires, des hystéries collectives dont des peuples se sont souvent réveillés et sortis sans comprendre comment ils avaient pu y céder, y participer (ré-assénons encore et toujours les mêmes exemples : nazisme, Rwanda, Bosnie… mais il y en a quotidiennement de nouveaux, proches, bêtes et tout aussi dangereux : manifestations sportives ou/et politiques, etc…). A lire, tiens : "Mangez-le si vous voulez" de Jean Teulé (merci Bruno Rotival qui me l'a fait connaître). Ces "Récits..." - celui de Péguy comme le mien - attestent moins la divinité de Jésus le Nazaréen que la bestialité de l'homme.  Dans la fresque de Giraudel, le rythme du montage est double et tellement adaptée à la Passion.

ECCE HOMO Antonio CISERI 1821-1891

P.A : Vous parlez de montage... c'est le cas de le dire...!

 

(Rire de M.B)

 

M.B : En bas, un précipité de foule païenne et sculpturale, un élan, un mouvement ascendant de spectateurs allant à des jeux annoncés de cirque. C’est, au goût et désespoir du jour, le même mécanisme que celui du bouc émissaire. Simplement, cette « unique » fois-là, il s’agit d’un doux… comme un agneau. En haut : un arrêt sur image, une déjà éternité d’ascension dans une nudité qui elle est celle de l’Homme nouveau né.

 

P.A : Cela n'a pas pu sauter qu’à vos propres yeux...!

 

M.B : Certes non, heureusement ! Mais des yeux ont été voilés avant qu'ils ne voient. Eblouissante nudité ! Dénudante lumière qui éclaire en pleine face nos vérités les plus basses comme les plus hautes !

*
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15 mars 2010 1 15 /03 /mars /2010 20:22
Aymeric Giraudel : fresque numérique pour "L'Apocalypse de Jean"

«Heureux celui qui lit la Prophétie. Et heureux ceux qui l'écoutent et qui gardent les choses qui y sont écrites, car l'heure est proche. Ap 1/3

Le voici qui vient sur les nuées. Tout œil le verra. Même ceux qui l'ont percés et tous les peuples de la Terre se frapperont la poitrine en le voyant. Ap 1/7

Mais je vous reproche ceci : Vous avez abandonné l'amour que vous aviez. Ap 2/4

Et je vis s'élever de la mer une bête qui avait 10 cornes et 7 têtes

et sur ses têtes des noms de blasphème. Ap 13/1

Et à cette bête, le dragon donna sa puissance. Ap 13/ 2 b

Et toute la Terre, étant dans l'admiration suivit la bête. Ils adorèrent la bête en disant :

« Qui est semblable à la bête ? » et « Qui pourra combattre la bête ? » Ap 13/3 et 4

Elle ouvrit la bouche pour blasphémer contre Dieu. Ap 13/5

Puis je vis un nouveau paradis, et une nouvelle terre. Ap 21/1

Et j'entendis une voix puissante qui venait du trône et disait :

« Prenez garde, Dieu vit parmi les hommes. Il vivra parmi eux et ils seront son peuple.

Et Dieu en personne sera avec eux. Ap 21/3

Il essuiera chacune de leurs larmes. Et la mort ne sera plus, le deuil ne sera plus, pas plus que les pleurs ou la douleur. Car ces choses auront disparu. Ap 21/4

Aux assoiffés, sans faire payer, je donnerai de l'eau, de la fontaine de la vie. Ap 21/6

Mais en ce qui concerne les lâches, les impies, les corrompus, les assassins, les fornicateurs, les sorciers, les idolâtres, et tous les menteurs leur place sera le lac de feu. » Ap 21/8

Et il m'a dit : « Ne scelle pas les mots de la prophétie, car l'heure est proche. Ap 22/10

Prends garde... Je viendrai bientôt.» Ap 22/12


Dimanche 21 mars à 16h : représentation

17h45 : débat

QUAND DIEU SE LAISSE, CHAIR ET VERBE,
INTERROGER, PARLER, PETRIR... PAR L'HOMME.


avec la participation de

Gilbert BRUN
Vicaire épiscopal, service diocésain "Arts, Cultures et Foi"

Jean-Rémy FALCIOLA
Curé de la paroisse Saint-Joseph des Brotteaux

Daniel MOYAL
Relations judéo-chrétiennes auprès du Grand Rabbinat de Lyon

Hafid SEKHRI
Commission Dialogue Inter-religieux, Conseil Régional du Culte Musulman

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«  Taedet animam meam vitae meae... »
2ème leçon des Matines de la Mort.

- Abîme…

Il l’avait examiné sous toutes ses faces, il l’avait retourné, infiniment pesé, détaillé et lui avait crié : « Abîme ! », tant il l’avait trouvé informe et vide entre ses mains.

- Ô solitude ! soupira-t-il.

Et c’était une mer au-dessus de laquelle, comme une expiration, une lente mouvance, son Esprit s’échappait en planant longuement : il avait le temps, le temps lui appartenait, il était son essence et son rythme.

          - Abîme, répéta-t-il.

          Et parce qu’en écho à sa voix, cet appel, cette presque condamnation, il lui répondit : « Répare ! », ce monde l’enivra de promesses qu’il eut envie d’éprouver.

          - Ainsi, la lumière sera, dit-il.

          Et ce fut une lumière qu’il sépara de la ténèbre à laquelle il avait crié : « Nuit ! », afin que l’une ne fût plus jamais semblable à l’autre.

          - Ainsi, quel bien ! souffla-t-il ;

          Et le bien ressenti fut tel qu’à l’oubli il relégua le mal. A la lumière il cria : « Jour ! », afin qu’il sût à jamais où était la ténèbre et qu’il s’en gardât. Là où commença l’une il dit : « Matin », là où commença l’autre il dit : « Soir », à fin de différence.

          C’était un jour et ce fut un signe. Et ce signe fut loi et ce fut le premier, et ce fut un appel à la réjouissance. Il l’entendit et se reconnut, s’éprouvant lui-même à l’épreuve : il vivait. Une fraction d’éternité, le souffle suspendu, son Esprit oscilla entre deux infinis.

          - Encore… murmura-t-il, étonné de lui-même ;

          Et pour s’assurer mieux, d’un infini à l’autre, et mieux se faire écho et se répercuter, entre la mer et lui il tendit une voûte qu’il nomma de ce mot qui sonna, plus long et plus intense jusqu’à se répéter, et qu’il entendit : « Ciels ». C’était un autre jour qui fut le second signe et le second appel, et la seconde loi. Il se réjouit de nouveau.

          Ainsi que de l’abîme il avait extrait la surface et son élévation, de la ténèbre la lumière, il conçut d’assembler la confuse uniformité des eaux afin qu’il sût leur contraire et leur complément. Il leur fixa un point et les y retira. A sa vue s’offrit le sec. Comme aux eaux il avait crié : « Mers », au sec il aurait voulu crier : « Glèbe », mais il était trop tôt : le sec était aride. Aussi cria-t-il : « Terre ». Puis, contemplant sous lui ces mondes moins informes, de nouveau il se dit :

          - Quel bien…

          Mais il ne parvint pas à s’en réjouir car ces mondes étaient vides et c’était la demande et, d’un appel encore, le signe persistant. Entre eux et lui, il se vit tout entier.

          - Ô solitude… répéta-t-il.

          - Réponse, soufflèrent les échos derrière lesquels il devina des images qui pouvaient lui ressembler.

          Roulant dans l’éternité profonde et l’appelant à ses formes, il sentit se déployer son inconnu désir qui disait :

          - Le jour est encore long.

          - Il faudrait, songea-t-il avec un nouveau soupir, que ces mondes s’animent, se meuvent et se transforment. Que puis-je leur donner qu’ils n’ont pas ?

          Les échos répondirent :

          - La vie.

          - N’est-ce donc que cela : la vie ? s’étonna-t-il. Et je serais le signe, l’ancien et le nouveau d’un même testament ?

          Il pénétra donc la lumière et s’en imprégna.

          - Ainsi, je suis la glèbe et la glèbe sera.

          Il se sentit frémir de réponses et d’appels, et comprit qu’il vivait. Il multiplia les signes sur le sec et dans les mers, dans les ciels et au-delà pour que les jours s’achèvent et que les jours commencent, et que leur cours ainsi s’écoule et se dénombre. Le reste, et jusqu’à la vapeur qui monta de la terre, ne fut qu’un jeu d’enfant.

          Et ce fut, aux faces de la glèbe – adama – un enfant dont la matière cria le nom et le soutint de sa poussière ; un enfant qui, de la forme des vies, reçut la conquête et son droit, toute domination et assujettissement.

           - Quel bien est le mien ! dit l’enfant.

          Pour le partager, il chercha autour de lui son image mais, où qu’il portât son regard, il ne se vit pas.

          - Vivante de l’homme, Isha Hava ! gémit-il.

          Et à son tour, dans le bruissant silence des faces, résonna son soupir :

          - Ô solitude…

          Dans ce souffle exhalé, le souffle de la glèbe reconnut le dernier signe et le dernier appel. Il le reçut, le sépara, il le renvoya à lui-même et dit :

          - Tout est accompli.

          Ainsi, jours après nuits, les matins succédèrent à la ténèbre et les soirs à la lumière : il en avait été comptés six.

 

          Au déclin du septième, dans le secret des obscurités, par strates successives et obstinées, de noires poussées sédimentèrent leurs excrétions qu’elles incrustèrent sur le dos des cathédrales…

 

Michel Béatrix : "Son Nom de Lumière dans Carthage Endormie"

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23 janvier 2010 6 23 /01 /janvier /2010 10:06


CRYPTE
SAINT-JOSEPH DES BROTTEAUX

du 9 au 27 mars 2010

RECITS
DE
LA PASSION
*
PEGUY - BEATRIX


avec

Michel Béatrix - Hervé Tharel

Aymeric GIRAUDEL The Prophecyhaut
"Et lui, en lui-même, il se disait : voilà ma mère...
qu'est-ce que j'en ai fait !
Voilà ce que j'ai fait de ma mère
cette pauvre vieille femme
devenue vieille
qui nous suit depuis vingt quatre heures
de prétoire en prétoire
et de prétoire en place publique..."

Charles Péguy

RV-2006.09-07-6b-A.D.P-sepia.JPG
"L'homme dont je suis fait, l'homme dont je succombe,
qui me tire à la croix, qui me pousse à la tombe,
l'homme me fait horreur. Je devrais l'aimer moins,
je pars pour l'aimer mieux : je vais l'aimer de loin."

Michel Béatrix

Aymeric GIRAUDEL The ProphecybasPhotos 1 & 3 : Aymeric Giraudel "The Prophecy"  - Photo 2 : Michel Béatrix

        Avec raison, nous pourrions être étonnés, frappés d'étonnement par cette inattendue oasis, source de mémoires et de célébrations, qui nous accueille au sortir du désert du temps de carême ; à peine allions-nous nous désaltérer aux rives abordées de la Terre Promise de Pâques qu’une voix  s’élève, seule, unique, pour nous dire : « J’ai soif » … !


    Opéra parlé. Duo de cris, de murmures, de douces-amères imprécations : le fracassement de Charles Péguy alterne avec le lyrisme de Michel Béatrix dans une  succession haletante de récitatifs et d'arie.

 

Textes

Charles Péguy : extrait du "Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc"

Michel Béatrix : "Avant-Dernières Paroles de l'Homme".

 


Du 9 au 27 mars 2010. Tous les soirs à 20h30

Mercredi à 19h. Dimanche à 16h (Relâche le lundi)


P.A.F : 20€, 15€ (seniors, étudiants)

10€ (scolaires, dem. d'emploi, groupes à partir de 10 sur réservations, prof. du spectacle)

(réservations possibles dès à présent par contact de ce blog)

Crypte Saint-Joseph des Brotteaux : 99, rue Crillon. LYON 6ème (Métro A : Masséna) 

 

*

Charles PEGUY – 1873-1914

  Sources : Jean Bastaire


« Hein ! mon récit… Mon vieux, je n’y pensais pas, ça m’est venu quand je corrigeais mes épreuves, ça m’a tenu huit jours… Des choses comme ça, c’est dicté. »

 

Charles Péguy       Charles Péguy naît dans une famille modeste : sa mère, Cécile Quéré, est rempailleuse de chaises, et son père, Désiré Péguy, est menuisier. Ce dernier meurt d'un cancer de l'estomac quelques mois après la naissance de l'enfant, qui est élevé par sa grand-mère et sa mère.


       En 1885, il est remarqué par le directeur de l'Ecole Normale d'Instituteurs d'Orléans, Théodore Naudy, qui le fait entrer au lycée d'Orléans, et lui obtient une bourse qui lui permet de continuer ses études. Pendant ces années passées à Orléans, Péguy suit des cours de catéchisme auprès de l'abbé Cornet, chanoine de la cathédrale.


       Au lycée Pothier, quoique bon élève, il se fait remarquer par son caractère : en avril 1889, le proviseur du lycée écrit sur son bulletin : « Toujours très bon écolier, mais j'en reviens à mon conseil du dernier trimestre : gardons-nous du scepticisme et de la fronde et restons simple. J'ajouterai qu'un écolier comme Péguy ne doit jamais s'oublier ni donner l'exemple de l'irrévérence envers ses maîtres. »


       Il obtient finalement son baccalauréat le 21 juillet 1891. Demi-boursier d'État, Péguy prépare ensuite le concours d'entrée à l'Ecole Normale Supérieure au lycée Lakanal, à Sceaux, puis à Sainte-Barbe. Il fréquente encore la chapelle du lycée Lakanal en 1891-1892. C'est peu à la fin de cette période qu'il devient « un anticlérical convaincu et pratiquant ». Il intègre l'Ecole Normale Supérieure de Paris le 31 juillet 1894, sixième sur vingt-quatre admis. Entre temps, de septembre 1892 à septembre 1893, il fait son service militaire au 131ème régiment d'infanterie.


       À Normale sup', il est l'élève de Romain Rolland et de Bergson, qui ont une influence considérable sur lui. Il y affine également ses convictions socialistes, qu'il affirme dès sa première année à l'École. Lorsque éclate l'affaire Dreyfus, il se range auprès des dreyfusards. En février 1897, il écrit son premier article dans la Revue socialiste, et en juin 1897, achève d'écrire Jeanne d'Arc, une pièce de théâtre ; tâche en vue de laquelle il avait fait un important travail de documentation.


        A propos de la Commune de Paris 1870-1871 Charles Péguy a écrit dans Notre jeunesse : "Le 18 mars même fut une journée républicaine, une restauration républicaine en un certain sens, et non pas seulement un mouvement de température, un coup de fièvre obsidionale, mais une deuxième révolte, une deuxième explosion de la mystique républicaine et nationaliste ensemble, inséparablement patriotique".


DSC00313web-copie-2PEGUY ANTI-MODERNE 


       La réforme scolaire de 1902, portant sur les humanités modernes et l'enseignement secondaire unique, est sans doute la première occasion à laquelle Péguy exprime aussi violemment son rejet du monde moderne : « Comme le chrétien se prépare à la mort, le moderne se prépare à la retraite ». Dans ses Cahiers de la quinzaine, il écrit :


       « Aujourd'hui, dans le désarroi des consciences, nous sommes malheureusement en mesure de dire que le monde moderne s'est trouvé, et qu'il s'est trouvé mauvais ».


       Il se sépare ainsi peu à peu de la gauche pour rejoindre les rangs nationalistes et souhaite une guerre avec l'Allemagne pour recouvrer l'intégrité du territoire.


        Deux années plus tard, dans Zangwill, il allie ce rejet de la modernité à celui du progrès, « grande loi de la société moderne ». Péguy critique dans la modernité la vanité de l'homme qui prétend remplacer Dieu, et un certain avilissement moral auquel il est selon lui impossible d'échapper dans le monde moderne.


MORT AU CHAMP D'HONNEUR  Chartres-aux-Bles1web-copie-1.JPG

       Lieutenant de réserve, il part en campagne dès la mobilisation en août 1914, dans la 19e compagnie du 276ème régiment d'infanterie et meurt au combat la veille de la bataille de la Marne, tué d'une balle au front, le 5 septembre 1914 à Villeroy, alors qu'il exhortait sa compagnie à ne pas céder un pouce de terre française à l'ennemi. Un de ses proches, Joseph Le Taconnoux, a rapporté qu'avant son départ, Péguy lui avait affirmé : « Tu les vois, mes gars ? Avec ça, on va refaire 93 ».


*
PETITES HISTOIRES DE LA GRANDE : JANVIER 1873
- le 2 : naissance de Thérèse de Lisieux
- le 7 : naissance de Charles Péguy
*
UN ECRIVAIN MYSTIQUE 

MIRIBEL écrivain mystique-copie-1       Son retour au catholicisme a eu lieu entre 1907 et 1908 ; il confie en septembre 1908 à son ami Joseoph Lotte : « Je ne t'ai pas tout dit... J'ai retrouvé la foi... Je suis catholique... ». Cependant, son entourage remarquait depuis quelques années déjà ses inclinations mystiques ; ainsi, les frères Jean et Jérôme Tharaud se souviennent l'avoir fait pleurer en racontant les miracles de la Vierge, à la Noël 1902. Le 16 janvier 1910 paraît Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc, qui s'inscrit clairement dans la perspective d'une méditation chrétienne et manifeste publiquement sa conversion. La réaction du public catholique est plutôt méfiant. Son intransigeance et son caractère passionné le rendent suspect à la fois aux yeux de l'Église, dont il attaque l'autoritarisme, et aux yeux des socialistes, dont il dénonce l'anticléricalisme ou, sur le tard, le pacifisme.

       Pourtant, il ne devient pas catholique pratiquant. En effet, Charles Péguy n'aurait jamais communié adulte et n'aurait reçu les sacrements q'un mois avant sa mort, alors qu'il était sous l'uniforme.

LE MYSTERE DE LA CHARITE DE JEANNE D'ARC 
 
DSC03363       La pièce reprend, en la développant, une oeuvre plus ancienne de Péguy, Jeanne d'Arc, écrite en 1897. Les trois protagonistes sont toujours présentes : la petite Jeanne et son amie Hauviette, ainsi que Madame Gervaise (titre donnée à une religieuse). Le thème central de leurs échanges est à nouveau la question du mal et de la souffrance dans le monde, "mais les raisonneuses de 1897 sont devenues des contemplatives, debout, avec Marie, au pied de la croix". Cette dimension contemplative et mystique fait du Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc un texte fascinant. Pour Pie Duployé, auteur d'une analyse de l'oeuvre de Péguy :

       "le Mystère ne révèle ni l'histoire de Jeanne, ni la pensée, fût-elle religieuse, de Péguy, mais sa prière. C'est, selon le mot de Bernanos, Jeanne écoutée par Péguy ; la prière de Jeanne telle que Péguy peut l'entendre sortir de son propre coeur, quand il cherche à représenter cette sainte, et à écouter sa prière".

        Au coeur de l'oeuvre : le Récit de la Passion.

LE RECIT DE LA PASSION 

DSC00330       Oser Péguy...! pour se débrousailler l'esprit et fouler de plain-pied le Mystère humanisé de la Croix ; pour entendre ceux qui sont allés jusqu'au bout intoléré de leurs convictions.

       Un homme, un cri : celui d'un poète - celui de l'Homme - les bras ouverts, vertical devant la mort, son angoisse et sa souffrance. Univers dépouillé où le temps se suspend pour remonter jusqu'à nous et, sur nous, repasser.

       Dans le Récit de la Passion de Péguy, la souffrance fait écho à l'angoisse et à l'amertume des Avant-dernières Paroles de l'Homme de Béatrix : la souffrance viscérale, la souffrance des entrailles puisque ce texte dit l'intuition, la perception, la vision de celle de la mère spectatrice cum-patissante de la souffrance physique de son enfant. Péguy nous prend de haut !... et nous redescend à un  niveau commun d'humanité entre Dieu qui s'est fait homme et nous, nous invitant à considérer la perspective divine dans laquelle nous pouvons... devrions nous placer.

       Jésus déborde des Evangiles. A sa propre flamme, il se brûle. Découlée de la Passion, Marie s'écoule et se répand moins en fonte qu'en fusion de regrets et de déceptions, d'interrogations égales ; de doutes aussi ; de larmes enfin.

       Jésus atteint son état absolu d'homme qui ne sait plus. Nous entrons dans le doute absolu, c'est-à-dire : conscient, c'est-à-dire : humain, quand la souffrance physique et morale est telle que la vie qui va nous être arrachée - à nous-même et à la présence des autres - semble soudain privée de tout sens, de toute cause et de toute finalité.

       "Et lui en lui-même il se disait : voilà ma mère, qu'est-ce que j'en ai fait..."  ; "Elle pleurait, elle pleurait, elle ne comprenait pas très bien".

AVANT-DERNIERES PAROLES DE L'HOMME 

Céline 2009.04 17bdétail       Au soir de ce que l'histoire chrétienne nommera Jeudi Saint, Jésus le Nazaréen essaie de prolonger le temps de ce qu'il sait être son dernier repas partagé avec sa famille et ses amis.

       Poème adolescent, plus de trente ans séparent la première version de 1970, qui comptait 104 vers, de celle de 2001 qui en compte 320 : un acte...!

       " Il est intéressant de noter qu'en 1970, je ne connaissais pas encore le Récit de la Passion. Il était pour moi naturel, évident de devoir écrire en vers ce récitatif, cette longue confidence, cette méditation limite, amère et nostalgique ; pour peut-être répondre et suivre mieux son appel : la pulsation plus intérieure que cérébrale du moment. La poésie jaillit, coule et s'écoule avec le flux-même des acceptations et des abandons finaux. Encore et toujours : l'alexandrin pour moi n'est pas une sophistication stylistique mais un écho de nos rythmes physiologiques.

       Je ne m'explique pas l'audace, la curiosité qui m’ont poussé à faire parler Jésus, surtout à ce moment-là : la veille de sa Passion, de son Patissement. La veille : aussi bien l’avant que l’attente, ce moment particulièrement lourd et dense et chargé où le film d’une aventure, d’une vie qui va se jouer, s’achever, se met en espoirs et en doutes, en questions et en demandes… En  pause. « Play – Pause – Record ». Qu’aurons-nous de cela enregistré avant que la théologie s’en mêle et s’y emmêle ? »

  V O Y A G E 

DSC00055b-copie-1       Lorsque vous faites du tourisme, rares sont les guides qui vous indiquent une direction, une contrée, un coin à visiter, à explorer et vous invitent, vous poussent à partir seul et à ne les retrouver qu'à la fin de votre excursion pour échanger avec eux vos impressions.

       Serait-il guide, celui qui accepterait peut-être, a fortiori qui goûterait que vous lui fassiez découvrir le petit ou grand quelque chose à côté duquel il aurait pu se faire qu'il fût toujours passé sans le voir ?

       Celui-là serait maître-guide qui vous laisserait le guider, l'enseigner.


       Prenez le large. Qu'il n'y ait rien entre vous et le large. Pas même vous. Quittez le port, virez de bord. Hissez les voiles, larguez les amarres. Prenez ainsi les textes : "dans leur plein, dans leur large, dans toute leur crudité", nous exorte Péguy ; à pleine bouche, à pleine voix, dans tout ce qu'ils veulent et peuvent dire, dans tout aussi ce qu'ils essaient de nous cacher pour nous le laisser mieux découvrir et révéler.

       Livrez-vous à la pêche effrayante et miraculeuse du sens et de la signification.

"Matelot d'une mer que hantent les Sargaces
je suis souvent parti et jamais revenu
je suis tout à la fois le poisson et la nasse
j'ai tout abandonné et je n'ai rien perdu."

Natasha Bezriche - Gilles Gastinel


LA MISE EN SCENE 

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       Oasis ou champ de bataille, cet espace-temps de « La Passion » ... ? Entendons bien : du Patissement !


       Le Jésus de ces Récits de la Passion est le Jésus d’avant, juste avant les Evangiles : les bras ouverts et tendus vers des frères qui vont l’ignorer, le repousser, le renier ; Jésus vertical devant la mort, son angoisse et sa souffrance. Ces récits sont ceux des calvaires parallèles et simultanés de Jésus et de Marie, ceux de ces quelques heures surhumaines, non plus dites et assénées comme un enseignement religieux mais livrées en confidences.


       Opéra parlé. Duo de cris, de murmures, de douces-amères imprécations : le fracassement de Charles Péguy alterne avec le lyrisme de Michel Béatrix dans une  succession haletante de récitatifs et d'arie.

 

       La mise en Cène est à l'amplitude autant qu'à l'intimité de la trajectoire acérée qui part du repas fondateur pour aller se clouer au centre crucifiant du tourbillon final : circulaire, tabulaire. Contraignante : le sens est lourd d'une table dressée à laquelle l'Hôte et ses commenseaux se sont assis sans pouvoir autrement qu'avec douleur et violence la quitter ou en être exclus avant la fin du repas.

 

       Le noeud mystique est, à tripes nouées, affaire de ventre et de nourriture temporelle pour pouvoir l'être au spirituel. Nous sommes bien ici en l'homme, entre hommes - hommes et femmes confondus dans une égale humanité avec l'Homme majuscule et singulier.


BRIBES ET NOTES 

Christian-Goret-carnivale.1228218544-n-b-legende.JPG       Ce ne sont pas des textes sacrés, cependant... quels sacrés textes !

       Affronter le consacré, le dessertir de son pinacle ; charger le fauve dans son arène, l'éviter, le contourner. S'appliquer à l'épuiser - à le faire sortir du puits. Le pousser dans sa querencia, l'en débusquer pour la lui voler. Jeu de cape et banderilles...

       Faena. Retrouver l'homme, l'animal - son sang sous le cuir, sa substance, s'en éclabousser tout entier. L'amener à son niveau en surmontant le sentiment de peut-être le rabaisser. Le malmener, le démonter. Le trahir en quelque sorte : prendre le risque de se tromper et celui de le révéler.

       Lire entre les lignes, sous elles. S'imposer la ponctuation, la pulsion charnelle du texte pour entendre l'idée simple, quotidienne, populaire. Désacraliser le texte ! A toute force le réouvrir, le battre, le marteler. Faire sauter l'un après l'autre chacun des verrous de la mise en forme derrière laquelle il s'enferme, se cache, pour dire le coeur ouvert du texte sous la pudeur de l'écrit formel.

       Travailler sur soi-même. Retenir l'émotion, les larmes : les susciter, non en jouer. Inventer, sinon trouver le compte à régler. Asséner le rebours compasionnel.

       Qui parle ? Homme ou femme, peu importe. Paroles apocryphes d'évangiles.

MISE EN PIECES DES TEXTES 

  VOIES CHEMIN DE FER n&b            Le monologue initial de Madame Gervaise dans le Mystère... n'est autre que celui de Péguy corrigeant les épreuves avant de les adresser à son éditeur. Dans ce dialogue avec lui-même, Marie se glisse, s'insinue, s'impose : verticale, encore et, jusqu'au bout, debout entre les bras écartelés de son fils.

 

       S'immisce aussi la voix du fils. Chez Péguy, dans les derniers instants : "Et lui, en lui-même, il se disait... ". Chez Béatrix, c'est elle dans toute la chair du Verbe. Dialogue à l'air libre des voix intérieures de l'inspiration ; parallèles enchevêtrées des voies de la création.

 

*

   « Michel Béatrix a réussi un découpage très significatif des textes de Péguy. »

Ph. Chabro : Vaucluse Matin


             « Qu’on vienne écouter ce texte d’amour et de douleur pour découvrir qu’il ne s’agit, pour être bouleversé, que de croire en l’homme. »

Nelly Gabriel : Lyon-Figaro


             « On a l’impression de porter un regard plus large sur le monde qui nous entoure. »

 Le Provençal


             « Un moment rare. A ne pas manquer. »

M-Jeanne Dufour : Le Progrès

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Karine-Brailly-detail.jpgPeinture de Karine Brailly

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19 janvier 2010 2 19 /01 /janvier /2010 11:37
EDITO 19 janvier 2010

Moins pour flatter l'Ego de l'homme inspirant que  pour rendre grâce et hommage au talent sensible, à la talentueuse sensibilité d'hommes inspirés autant qu'aspirant...

Merci à Christian
Pratoussy : "Andromaque en Profondeur" (re-voir plus bas) ; Frédérick Houdaer pour Le Coup de Grâce : "Passion" ; Jean-Luc Brachet pour Convergences
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ARTICLE COUP DE GRACE photo légendéeA quoi reconnaît-on un intoxiqué du Verbe ? A son corps (autant qu’à sa voix). Il faut être un athlète pour servir Claudel ou Genet. Les servir, cela signifie pour Michel Béatrix respecter la violence initiale, la nécessité intérieure qui a fait naître leurs textes, sans se vouloir plus catholique que l’un, plus révolté que l’autre. D’où la nécessité de ne pas manquer de souffle. Et le refus de jouer trop facilement au gros-bras.

 

               Michel Béatrix n’est pas le premier metteur en scène-comédien à avoir vécu sa découverte du théâtre comme une entrée en religion et à se soucier de faire résonner la langue française grâce aux pièces les plus fortes et (osons le mot) les plus « construites » du répertoire. Mais dire qu’ils sont légions à s’approprier ce combat, à parler en termes de « crise humanitaire du langage » serait mentir (sur Lyon, on songe à Renaud Lescuyer et à Schiaretti).

 

               En 1996, Michel Béatrix crée la compagnie qui porte son nom et fait entendre dans la crypte de Fourvière, le Récit de la Passion de Péguy. Là où certains spectateurs craignaient d’être assommés par un pensum… ils reçoivent une gifle qui réveille leur goût pour un  théâtre aussi écrit qu’incarné.

 

               Mains. B légendéeEn 2003, lors du festival « La Chair et Dieu » (un nom qui semble avoir été inventé pour Béatrix), c’est au tour de Corneille et de son Polyeucte de « réveiller les morts » à l’abbaye d’Ainay. Le succès public et critique est au rendez-vous.

 

               Béatrix récidive au même (prestigieux) endroit quelque temps plus tard, avec la complicité du père Jean-Rémy Falciola. L’arme du crime ? Claudel. Béatrix ne craint pas de mettre en scène l’Annonce faite à Marie (lors même que cette pièce a valu à Schiaretti une volée de bois vert de la part des tenants du culturellement correct), qui fait l’unanimité parmi tous ceux qui l’on vue. La « marque de fabrique » de Béatrix ? Pas grand-chose… le strict nécessaire, l’exacte mesure pour que le public vive une expérience dans une réelle proximité avec les comédiens, tout en ne se sentant pas agressé. Béatrix n’est pas de ces metteurs en scène qui « tiennent les spectateurs par la nuque pour leur plonger la tête sous l’eau ». S’il ne se réclame pas de Peter Brook, le travail de Béatrix est parfaitement résumé par l’idiome du vieux sage : « La simplicité n’est pas vertu puritaine, mais le chemin pour arriver à un théâtre ouvert ». Ou bien encore : « Nous cherchons la liberté absolue et la rigueur absolue ».

 

               Plus que d’une troupe, on peut parler d’une véritable cordée de comédiens autour de Béatrix : Hervé Tharel (de plus en plus impressionnant depuis Polyeucte), Claire Lebobe-Maxime et Céline Barbarin (les deux capables d’un jeu aussi subtil que solide). Ceux qui ont entendu les chants de Natasha Bezriche ou de François Gineste lors de l’Annonce… ou de Polyeucte ne les ont pas oubliés.

          

mosaique_pour_livret_copy.jpg         Résumons : Claudel, Corneille, Genet, Péguy, Picq, Molière, Racine… et pourquoi pas Montherlant tant qu’on y est ? Béatrix y songe (à aggraver son cas ?). Il y aurait aussi – forcément ! – Dostoïevski, mais à la seule condition de pouvoir présenter un travail d’une douzaine d’heures. Minimum. Et toujours dans cette crypte de Saint-Joseph-des-Brotteaux où Béatrix vient d’enchaîner plusieurs pièces : Dom Juan de Molière, Pilate de Jean-Yves Picq, Andromaque de Racine). En espérant pérenniser cette résidence artistique. On aurait tort de voir dans le travail de Béatrix les marques d’un quelconque repli identitaire. Nulle ostentation, nul prosélytisme chez le metteur en scène quand il affirme : « Je regarde en face ma culture, la culture judéo-chrétienne. Même au travers d’œuvres écrites parfois en réaction-négation à cette culture… Cette culture-là n’a rien de virtuelle. Je vis, je baise dans une réalité judéo-chrétienne, j’adore le goût du péché. »

FREDERICK HOUDAER

* * *

Michel Beatrix : « Il faut arrêter de viser bas : nos contemporains sont absolument aptes à recevoir des choses fortes, sincères. »

 

2007.09-26-2.jpgPeut-on encore être entendu en visant haut, quel niveau d’exigence avoir avec soi-même et avec les autres, comment interpréter des textes difficiles pour en restituer la petite musique, quel rapport entretenir avec les « faiseurs d’opinion »… ? En invitant ce mois-ci le Lyonnais Michel Beatrix, acteur et metteur en scène de théâtre, « Convergences » lève le rideau sur quelques pistes de réflexion.

 

Vivre en rebelle est un choix. Aller à contre-courant, un constat. A 56 ans, Michel Beatrix a pris l’habitude de vivre à contre-courant. « Le théâtre est une évidence depuis toujours » pour ce metteur en scène capable de remplir les salles en montant les spectacles de Péguy ou Molière, Claudel ou Racine. Elève à Oyonnax (Ain), ses professeurs le jugeaient à la fois « brillant et paresseux », et néanmoins tellement attachant. Il ne s’est jamais demandé ce qu’il ferait plus tard. Quand il explique au conseiller d’orientation qu’il se voit en acteur, celui-ci lui répond « oui, mais comme métier ? ».

 

Comme métier, il sera bien acteur et metteur en scène, dont il donne une belle définition, « faire s’interroger les spectateurs sur eux-mêmes ». A la différence du professionnel prêt à tous les compromis tout autant que de l’intellectuel qui n’en accepte aucun, il cherche dans ses mises en scène à transmettre le message de textes réputés difficiles, naviguant entre deux écueils qu’il refuse de la même façon.

 

dscn7101-photo-alain-Burdet.jpgCôté cour, il en a « marre d’entendre qu’il faut proposer des choses plus simples, plus accessibles » sous prétexte de s’adapter aux canons de l’époque. Sa conviction, c’est que « le public est sensible. Il faut arrêter de viser bas, les gens sont absolument aptes à recevoir des choses fortes, sincères ». A condition toutefois de réaliser ce travail de mise en scène, qu’il conçoit comme un rôle de passeur car côté jardin, si quelque chose le révolte, c’est cette mode des metteurs en scène qui « prennent soin de faire chier une salle ». Dans la bouche d’un amoureux de la belle langue, l’expression pèse de tout son poids.

 

Entre populisme et intellectualisme, Michel Beatrix, emprunte la porte étroite à la façon d’un André Gide, mais il n’en connait pas d’autres. Alors que le lycéen littéraire éprouvait des difficultés en mathématiques, le voilà quelques mois plus tard qui enseigne cette matière pour gagner son pain en attendant de pouvoir vivre de sa passion. Se souvenant de ses propres difficultés, il trouve les mots pour rendre la matière accessible. Ce qui est vrai de la matière scientifique le sera des « grands textes » du théâtre. L’important est de leur donner vie : « Le texte est une partition. Mozart a écrit do sol mi ré do, le musicien doit restituer toute la musicalité du Requiem. Quand vous proposez ‘‘l’Annonce faite à Marie’’ de Paul Claudel, votre travail est de permettre au spectateur de pénétrer en plein cœur de l’infini ouvert par l’auteur ».

 

Le metteur en scène lyonnais avait fondé en 1975 une première compagnie de théâtre. La lecture des bons auteurs ne prépare pas à celle des livres de comptes et comme il l’avoue lui-même, « je pensais que j’avais du talent et que donc tout m’était dû. J’ai planté ma banque de l’époque de quelques milliers de francs ». Nourri de l’expérience, Michel Beatrix fonde dans les années 90 une deuxième compagnie qui porte son nom. Sur le conseil d’un ami, il ouvre un compte à la Caisse de Crédit Mutuel de Lyon République, « parce que le contact y est très sympathique, et parce que le personnel comprend bien les spécificités du statut d’intermittent ».

 

DSC_4483-photo-Ferruccio-Nuzzoweb.jpgLa vache enragée ne l’a pas transformé en rebelle. « L’époque de Louis XIV a été une grande période, y compris dans le pourri et l’horrible – ça va ensemble » dit-il. Ce n’est pas du cynisme, les cyniques baissent les bras. Mais dans l’éternel dialogue entre Corneille qui décrit le monde tel qu’il devrait être et Racine qui le montre tel qu’il est, Beatrix serait plutôt racinien. Il poursuit son chemin en conservant toute son ambition pour les spectateurs dont les rangs sont d’année en année plus denses. Ce n’est pas grâce à la presse : « Les médias, je m’en tape, ils ne sont jamais venus. Maintenant, ils envoient des pigistes, plus personne ne sait écrire ! ». Un vrai drame pour cet amoureux des mots, de la récitation, de la langue. Mais aujourd’hui, il peut se payer le luxe de ne dépendre de personne pour faire tourner sa petite compagnie. Sa liberté acquise au prix du talent et de la patience, il s’en sert pour choisir ses pièces « à l’intuition ». Ne dépendant ni de sponsors privés ni de subventions publiques, il glisse : « J’ai admis qu’il ne fallait pas que je raisonne ».

Il a installé sa troupe dans la crypte d’une église lyonnaise. « C’est un lieu idéal pour proclamer la parole, à la source du spirituel. Pendant l’Antiquité, le théâtre était à côté du temple… ».  A ceux qui s’interrogent sur son goût pour Claudel et Péguy, il précise : « La France n’a pas encore digéré sa culture judéo-chrétienne, elle confond spiritualité et religieux. L’humanisme se nourrit du spirituel ».

"Dom Juan" - Molière. Crypte Saint-Joseph des Brotteaux - 2008

Dans son désir de rapprocher les spectateurs des acteurs, il a fini par « tirer un trait sur le fossé entre les deux ». Dans la crypte de l’église Saint Joseph des Brotteaux, les rangées de chaise sont disposées au milieu de l’espace scénique, les spectateurs voient évoluer autour d’eux les acteurs. Pour ces derniers, l’exercice est un peu plus difficile. « Mais pour atteindre le Beau, il faut savoir aller au charbon, se salir » explique le metteur en scène. Pas peu fier du compliment que lui fit un jour le petit-fils de Charles Péguy à l’issue de la représentation d’une pièce de l’auteur. « C’est la première fois que j’ai l’impression d’entendre mon grand-père en personne ».

 

Le public est disparate. Des élèves de seconde et de terminale, parfois narquois au démarrage et souvent bluffés au dernier vers. Des vieux, des jeunes, bonne société et proche banlieue. Le théâtre  retrouve avec Michel Beatrix son caractère universel. De quoi réjouir celui qui se dépeint comme un « écologiste linguistique » qui se bat pour la sauvegarde du vers de douze pieds. « L’alexandrin n’est pas une sophistication précieuse. Il renvoie à quelque chose de nos origines, un rythme profondément humain, comme une pulsion cardiaque ! Il faut le donner à vivre et à entendre ».

 

Le rebelle rêve d’un autre fleuve. Etre à contre-courant influence le courant. Michel Beatrix aurait pu signer le poème d’Edward Bond qui écrivait pour la création de Lear au Royal Court Theatre en septembre 1971 : « Ne quittez pas le théâtre satisfaits. Ne soyez pas d’accord. Quittez le théâtre affamés de changements »

JEAN-LUC BRACHET

 

 

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8 janvier 2010 5 08 /01 /janvier /2010 17:00
VOEUX 2010                                                                                                         Année qui commence...

L'image a été prise à l'île de la Réunion au matin d'une journée où le soleil et la brume n'allaient pas cesser leur amoureux et changeant ballet. Passage : trait pictural de réunion entre jour naissant et nuit, entre ciel et terre, entre deux années enfin dans un lointain que le besoin et l'envie de chacun veulent voir plus serein que brumeux et voilé... plus serein parce que, justement ! un peu brumeux et voilé : l'Espérance.


"L'Espérance, c'est un phénomène assez particulier que nous avons souvent du mal à discerner et qu’il faut, à mon sens, distinguer de  l’espoir. L’espoir... on s’y raccroche plus ou moins désespérément avec plus ou moins de conviction, de presque résignation : c’est une bouée de sauvetage, un mieux à venir et vague qu‘on évoque ou qu’on invoque, une presque vue de l’esprit.

 

SDC10520webL’Espérance, en revanche, c’est déjà la rive aperçue. C’est une présence, une présence que l’on ressent auprès de soi d’une façon presque palpable lorsqu’on retrouve un peu de calme et de sérénité après un long tunnel, une descente de rapides, une traversée du désert. Elle nous fait percevoir, ressentir, une sorte de détente de notre être. Nous portons tout à coup un regard différent sur les êtres et les choses - peut-être est-ce parce que, grâce à elle, nous devenons plus réceptifs : nous les percevons. Invisible mais palpable, c’est elle que nous percevons, elle qui se manifeste à travers les êtres et les choses : mystère de l’incarnation. Elle est là, véritablement réelle. Une vraie réalité.

 

Réalité qui vient... je dirais plutôt : qui est rendue possible - j’insiste sur ce point - par une détente de soi, une décrispation, un déraidissement... de nos envies, de nos passions, de nos manques, de nos obsessions. Parce que, peut-être, sommes-nous aller suffisamment loin, trop loin, parce que c’était trop, au-delà de nos limites, nous abandonnons : nous nous abandonnons enfin. Et nos limites se repoussent et nous ramènent à nos rives qu’à nouveau nous apercevons. C’est à ce moment-là que nous nous sentons tenus, que nous réalisons qu’au lieu de couler nous flottons... Comme, cessant de se débattre, un naufragé dirait : « Je n’en peux plus, j’arrête », et se rendrait compte alors qu’il fait la planche, qu’il ne coule pas forcément. Forcément pas : il sent - l’Espérance est de cet ordre-là - il sent que l’eau le porte. Quand je parle de l’Espérance, quand j’utilise ce mot-là, c’est à cela que je pense : à une eau que tout à coup on n’agite ni ne trouble plus.

SDC10511web-copie-1.JPGCette présence, la toile de ce fond n’est pas permanente : la nécessité seule doit faire loi. Nous n’avons pas tout le temps besoin d’elle - pitié pour elle et pour ceux qui, plus que nous parfois, s’affolent. Soulagés de retrouver nos rives et de peut-être y accéder, nous devons moins dire « Bon ! maintenant, je suis tranquille pour quelque temps » que d’abord « Je vais  me sécher », et nous rendre compte ensuite que nous pouvons marcher. L’Espérance devient vos jambes. Et plutôt que d’être emportés par un courant, de nager à contre-courant, de nous vouloir écouler plus vite, nous nous rendons compte que nous avons des facultés, des pouvoirs, des muscles et que nous pouvons nous porter nous-mêmes, que nous nous appartenons à nouveau en pleine propriété. Ce sentiment est formidable et, de plus, assorti d’une joie intérieure et vraie. La compagnie que nous cherchons n’est plus pour que nous soyons gardés, mais pour que nous offrions notre générosité et notre savoir vécu. Il devient aisé de s’apercevoir que nous côtoyons des gens qui se sentent seuls - ou qui le sont de fait -, autant ou plus que nous avons pu nous sentir seuls - ou que, de fait, nous l’avons été - et avec lesquels nous avons un immense capital de générosité à faire fructifier pour le partager, de même qu’un savoir-vécu qui ne va qu’en s’augmentant au fur et à mesure que nous avançons en âge.

A condition de ne pas s’aigrir. Ce n’est pas facile, ni toujours dépendant de notre volonté. Je crois que nous sommes victimes de l’aigreur, qu’elle nous tombe dessus. Je ne pense pas que nous la cultivions, pas plus qu‘un boitement que la peur d‘avoir mal nous habitue à conserver. J’en reviens à cette idée de raideur - qu’on pourrait dire : raideur de l’âme, de l’esprit, de l’affectif. L’Espérance n’est pas le contraire de l’aigreur - ce verrou n’est pas le sien mais le nôtre. Alors que l’espoir nous laisse passifs, nous permet d’attendre quelque coup de baguette magique qui ferait disparaître comme par enchantement l’aigreur - puisque nous en parlons -, l’Espérance est une action délibérée, une volonté libérée que nous assumons, que nous acceptons de prendre à notre compte, de porter. J’ai eu la chance et la joie de la reconnaître à certains moments, et elle m’a tellement apporté... En même temps, j’ai appris à travailler et à cultiver non pas l’aigreur mais plutôt la détente et la décontraction.

Ai-je choisi le « meilleur camp » ? Je vous laisse juge... Ce n’est pas toujours facile. J’ai un adage : « C’est dur mais c’est intéressant ». Je crois que tout est atteignable... Les prix à payer sont différents selon les directions, les altitudes visées... D’ailleurs à tous ces mots-là, je préfère celui d’amplitude. Le fait d’être comédien n’aide pas peu à avoir ce genre d’attitude et d’écoute de soi-même, ce qui fait nécessairement déboucher sur l’écoute des autres. Cela fait partie d’une formation de base, assorti d’une sorte de... talent, dirons-nous. Je crois être ainsi fait. Je ne l’ai pas appris mais j’ai appris à me connaître. Et à connaître les autres aussi. Une chose a été très importante pour moi, essentielle dans mon parcours : je me suis occupé de petits enfants - je m’en occupe encore d’ailleurs, autant que possible et pour autant que le Ministère de l’Education Nationale nous laisse les moyens de le faire.

DSC00313webJe m’occupe d’enfants à partir du C.P. C’est beaucoup dire qu’à ce niveau je fais faire du théâtre... Mon objectif, dans le « travail » que je fais avec enfants, est moins de les faire jouer que de faire en sorte qu’ils se sentent en paix avec eux-mêmes, qu’ils trouvent leurs propres repères d’espace et de temps afin qu’ils soient - à sept ans déjà, ils en ont besoin - réconciliés avec eux-mêmes, qu’ils soient rassurés, qu’ils sachent qu’ils sont des « gens biens ». Les enfants sont des spectateurs à part entière, exclusive : jusqu’à l’adolescence, un enfant ne fait que recevoir ce qu’on lui propose - ou lui impose. Si, parallèlement, il ne fait pas connaissance avec lui-même, il se retrouve au moment de l’adolescence dans une espèce de cocotte-minute terrible. C’est alors que surviendra ce que l’on appelle les crises d’adolescence : tout éclate, tout explose.

Il faut évidemment entendre ce principe appliqué à tout adulte confronté à tout système. Dans mon travail sur ce rapport, mon objectif est l’adaptation réciproque et alternative des deux. Et travaillant toujours pour l’homme en perpétuel devenir, il faut malheureusement souvent travailler contre les systèmes qui ne devraient être que des jalons provisoires, des témoins d’évolution alors qu‘ils demeurent autant d’habits taillés sur mesure dont nous ne pouvons faire autrement que de défaire les coutures - ce qui est un moindre mal : le tissu parfois se déchire, quand ce n‘est pas l‘homme qui, pour s’y adapter, s’atrophie.

 

Durant les moments passés avec les enfants, moments perlés de petits miracles, je vois des êtres en devenir qui se réconcilient avec eux-mêmes, trouvent leurs propres modes de fonctionnement et s’avèrent être absolument capables de les adapter à des systèmes imposés - système scolaire, en l’occurrence. Les classes avec lesquelles je travaille sont partagées en deux groupes : l’un qui « travaille bien » et l’autre dans lequel se posent des problèmes. C’est évidemment avec ce dernier que j’ai le sentiment de faire un vrai travail théâtral, avec des enfants qui révèlent une attitude, une écoute, une aisance qui correspondent en même temps au besoin viscéral qu’ils ont de parvenir à s’exprimer. Non pas d’être quelqu’un d’autre mais eux-mêmes - je fais en sorte qu’ils ne jouent pas un personnage : je bannis les déguisements, les costumes. Les petits bouts de texte, les phrases que je leur fais dire - qui sont plus des exclamations - sont les leurs. Je les inclue dans un jeu, une mise en espace amusante, voire même absurde. J’aime beaucoup travailler l’absurde avec les enfants parce qu'eux adorent ça. Il y a des séances durant lesquelles je me sens vraiment spectateur parce qu’ils me font me re-sentir. Lorsque je sens que ce que je pressens est là et que ça sort, je sais que l’Espérance nous regarde au fond des yeux et, enchanté, comblé, je ris."

Michel BEATRIX

Entretien avec  Macha Béranger - France Inter : 28.10.2000

Macha-BERENGER.jpg1941-2009
Crédit photos :
1 & 4 : Michel Béatrix - 2 & 3 : Hervé Tharel
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1 novembre 2009 7 01 /11 /novembre /2009 13:34
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Relâche exceptionnelle le jeudi 19 novembre


Loin des cendres retombées et pourtant encore brûlantes de Troie, l’impossible reconstruction des êtres qui s’échappent plus ils se cherchent. Les cœurs et les veines palpitent et brûlent encore des amours sanglantes d’Hélène : perversion du sens et contagion ardente  des sens… combat de la chair des rois et des dieux.


Quand l’alexandrin n’est plus un mode stylistique, mais la manifestation affolée et sensuelle de la pulsation  des cœurs à corps. Ni faux grec, ni vrai kitch ! 24h chrono : les coulisses diplomatiques du sommet d'un G2. Vie publique - Vie privée. "Point de Vue", "Images du Monde" : le dit grand et beau.


ANDROMAQUE EN PROFONDEUR
par Christian-Yves Pratoussy

AFFICHE-fond.jpg                                                                                                             Photo : Michel Béatrix

     D’ordinaire, ou en tout cas très fréquemment, pour rejoindre sa place, un spectateur de théâtre monte des marches (sans même parler de celui, peu fortuné, qui a réservé à un rang éloigné de la scène ou au poulailler). Et, d’une certaine manière, plus on monte, plus on est au théâtre, étymologiquement entendu, puisque le grec theatron (de thea : l’ « action de regarder ») se rapporte non à ce que l’on voit, mais à l’endroit d’où l’on voit : monter permettrait ainsi d’avoir le plus grand angle de vue possible sur la scène et d’avoir une meilleure perception des intentions dramaturgiques de l’équipe artistique.

 

       Chez Michel Béatrix, si ces effets de perception sont bien ceux-ci, et plus encore, c’est pour une raison absolument inverse. Chez lui, en effet, on « descend ». La dernière fois que nous l’avons vu « en surface », c’était pour une Annonce faite à Marie parfaite (dans une chapelle latérale de l’Abbaye d’Ainay). Mais on pouvait bien deviner que le niveau des hommes et des jours n’était qu’une étape sur le chemin des profondeurs. Depuis deux ans maintenant, Béatrix a en effet installé sa compagnie dans la crypte de l’église Saint-Joseph-des-Brotteaux. Depuis deux ans donc, on est ainsi notamment « descendu » voir un Dom Juan (Molière) exponentiel et un Pilate (Jean-Yves Picq) sincère.

 

       Pour l’heure, c’est Andromaque qui est « représentée ». Mais ce mot convient-il encore au travail de Michel Béatrix ? Tout comme celui de « spectacle », de « spectateur ». Cette problématique du vocabulaire n’est pas accessoire, elle est directement liée à ce qui se joue là (en terme d’enjeu et pas seulement de jeu), et a à voir avec notre préambule historique, mais pas seulement : certes, Béatrix fait œuvre anthropologique en accédant à une acception fondatrice et fondamentale du théâtre, mais il le fait d’une manière plus que moderne. Comme si, l’avenir nous le confirmera peut-être, il anticipait la pratique théâtrale des temps prochains, époque où ne seront plus que souvenirs les spectacles, au sens le plus commerciale du terme, d’aujourd’hui (et où le spectateur renoncera à ses pratiques de consommation pour privilégier des pratiques d’engagement).

 

       Qu’on s’explique enfin. En premier lieu, revenons-y, il faut descendre. Partant, nous sommes convaincu que, ne serait-ce que par le poids de notre corps terrestre, cela participe à nous installer avec densité dans notre position, mieux : notre posture de « spectateur » (par défaut contentons-nous de cette identité convenue). Ensuite, comme si le « spectacle » (à l’origine, ce qui « attire l’attention ») commençait avant l’heure : l’espace scénique, non seulement n’est pas délimité, mais il semble se confondre avec la « salle ». En fait, il n’y a pour tout dire ni scène, ni salle. Des sièges sont certes installés, formant deux espaces communiquant, mais on découvre vite que certains de ces sièges sont « réservés » aux personnages.

 

 Hermione-Oreste-web.JPG      Arrivé de bonne heure, l’auteur de ces lignes a eu le loisir de s’installer à côté… d’Hermione. L’anecdote personnelle n’est rien au regard de ce que nous avancions précédemment : le théâtre de Béatrix n’est pas seulement vision, il est aussi, presque, toucher, odeur. Parfois épaule contre épaule avec Hermione (l’éminente Céline Barbarin), interpellé personnellement – il nous plaît de le croire – par le regard d’Andromaque la majestueuse Claire Lebobe-Maxime), dans l’espoir de sympathiser avec Cléone (la pétillante Françoise Jardel), au plus près de la folie d’Oreste (l’extrême Hervé Tharel), sentiments (l’intellectuel) et sensations (le corporel) participent à ce qui serait, si l’on nous autorise l’expression, une « mise en abysse » (en référence risquée à la « mise en abîme », le fameux « théâtre dans le théâtre » à la mode d’Hamlet).

 

       Pour autant, il faut se défaire de l’idée que la mise en scène d’Andromaque tient par ce seul vecteur de proximité entre acteurs et spectateurs. Parce que, au final, c’est peut-être avec Michel Béatrix (et il en sera peut-être le premier surpris s’il lit ces lignes) que nous avons mieux compris ce que voulait dire Brecht avec son Verfremdungseffekt, l’ « effet de distanciation » : ici, être au plus près de la scène nous en rend plus étranger. Et s’il y a théâtre (theatron), c’est un regard sur nous-mêmes (avec chacun notre part d’Andromaque, d’Hermione, de Pyrrhus, d’Oreste), regard nécessairement profond si l’on veut y voir clair.

Christian-Yves Pratoussy

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10 août 2009 1 10 /08 /août /2009 17:01
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Michel Béatrix : "Livret pour Andromaque"
1 - Andromaque… le temps des Amb(r)assades

               Lorsque l’idée, l’envie nous prennent de butiner les pollens de cette pièce, l’usage, le réflexe nous attirent généralement au miel et à la défense de la veuve et de l’orphelin. Andromaque est ce que l’on nomme un rôle titre. Mais il est intéressant de souligner (plus que de simplement noter) qu’il n’est pas le rôle principal. La comptabilité des scènes révèle 7 scènes pour Andromaque, 9 pour Pyrrhus, 11 pour Oreste et 12 pour Hermione. Des commentaires… ?

 

               Cette fois encore, l’humain fait les frais du politique : Andromaque est le prétexte de cette suite de l’histoire (l’Iliade) que re-conte la tragédie de Racine ; la mère est, avec son fils, le détonateur d’un conflit annoncé entre la Grèce et l’Epire ; comme Hélène fut celui de la guerre de Troie. Comme Hermione ne la sera ni de l’un, ni de l’autre. Nous entrons dans le vif d’un sujet à vif…

Jacques-Vettriano-1-copie-1.jpg« Quoi ?  sans qu’elle employât une seule prière,

Ma mère en sa faveur arma la Grèce entière ?

Ses yeux pour leur querelle, en dix ans de combats,

Virent périr vingt rois qu’ils ne connaissaient pas ?

Et moi, je ne prétends que la mort d’un parjure,

Et je charge un amant du soin de mon injure,

Il peut me conquérir à ce prix sans danger,

Je me livre moi-même et ne puis me venger ! »

Hermione : Acte V - Scène 2

… et dans l’intimité d’un couple ravageur et ravagé :

« Prenons, en signalant mon bras et votre nom,

Vous, la place d’Hélène, et moi, d’Agamemnon »

 Oreste : Acte IV - Scène 3


            Comment croiser les protagonistes de cette saga people sans penser à leurs géniteurs : avorteur, infanticide, « humains trop humains »… Embarras des choix : celui de croire que les enfants mis ici en pièce(s) sont les dignes successeurs de leurs héros de parents ; ou celui de déceler en eux, et plus que leur descendance ! leur logique dégénérescence, leur atrophie… Le choix aussi de les sentir et les reconnaître dignes successeurs de leurs déjà dégénérés géniteurs… même Achille, le demi-dieu. A tant nous effrayer par leur inconsciente et attardée adolescence, ils nous font aussi pitié : nous sommes de plain pied dans la tragédie, celle particulière sur laquelle flotte, avec une certaine et lasse langueur de vivre, Andromaque elle-même.

 

               Pyrrhus hésite à la croisée de tous ses possibles : fils d’Achille, il lui faut se faire un prénom. Velléitaire et toujours indéterminé dans sa fascination pour la veuve du héros (Hector) qu’a tué son père, Pyrrhus ressemble étrangement à Néron, le monstre naissant de « Britannicus ».

 

               Est-ce ne pas aimer des personnes/personnages que d’oser leur laisser prendre le risque, ou tenter la chance, d’être regardés en face, abordés par côté(s), sentis, compris… aidables ! avant qu’ils ne se mènent, les uns les autres et autant qu’eux-mêmes, à leur aussi propre que sanglante perte ? Est-ce ne pas nous aimer que tenter de nous mettre en garde autant contre nous-même que contre nos autrui ?

 

               Suivant ce qui est maintenant pour nous un impératif, nous jouerons la pièce en costumes contemporains : toujours le soin curieusement exigeant de ne pas travestir la parole en l’enfermant dans son berceau originel. Cette fois encore : le risque - aussi bien que la chance - de trahir l’auteur autant que de le révéler. 24h chrono. Les coulisses diplomatiques du sommet d’un G2. Vie publique – Vie privée. « Point de vue – Images du Monde » : le dit grand et beau. Ni faux grec, ni vrai kitch !


(Illustration : Jack Vettriano - "Dance me to the End")


2 - Nos pères, ces héros…

 

Beauvais-cimetiere-militaire-allemand-4.

Beauvais. Cimetière Militaire Allemand. Photo B. Maimbourg

 

               Oreste : fils d’Agamemnon et de Clytemnestre ; petit-fils de Léda et de Zeus qui l’a séduite en prenant la forme d’un cygne. Cousin donc d’Hermione par son père et sa mère: les deux frères (Agamemnon et Ménélas) ont épousé les deux soeurs (Clytemnestre et Hélène).


              Agamemnon : fils d’Atrée… les Atrides, ah…! Il tua le fils de son oncle Thyeste : Tantale, premier époux de Clytemnestre qu’il épousa, après lui avoir arraché du sein le bébé qu'elle attendait. Principal organisateur de l’expédition punitive contre Troie suite à l’enlèvement de la femme de son frère Ménélas, Hélène (mère d'Hermione), et retenu par la vengeance d’Artémis, il lui immole sa fille, Iphigénie, malgré l'opposition du demi-dieu Achille, son fiancé (et déjà père de Pyrrhus).


               Clytemnestre : fille de Léda et de Zeus, et donc sœur d'Hélène. Irritée par le sacrifice d’Iphigénie, elle se vengera en nouant, pendant la guerre de Troie, une liaison adultère avec Egisthe avec la complicité duquel elle tuera Agamemnon à son retour de Troie, avant d’être elle-même assassinée par Oreste.


Au moment où se déroule la pièce, Oreste, pour venger son père, a depuis peu tué sa mère.

 

               Hermione : fille de Ménélas et d’Hélène ; petite-fille de Léda et de Zeus. Cousine donc d’Oreste.

 

                Pyrrhus : fils d’Achille et de Déidamie.


               Achille : après l'enlèvement d'Hélène par Paris, sa mère, la divinité marine Thétis, le déguise en jeune fille et le confie à Lycomède, roi de Scyros, pour l’empêcher de partir pour la guerre, où elle sait qu'il doit périr. Achille séduit Déidamie, fille de Lycomède, qui lui donne Pyrrhus (Néoptolème). Après le départ, d'Achille, Lycomède élève son petit-fils jusqu'à ce qu’un oracle déclare que la ville de Troie ne peut être prise s'il n'y a, parmi les assiégeants, un descendant des Éaque. Les Grecs envoient alors chercher Pyrrhus qui n'a que dix-huit ans.


« … et la chair s’est faite cri, et le cri s’est fait verbe, et le verbe était chair…

               - Abîme…

Il l’avait examiné sous toutes ses faces, il l’avait retourné, infiniment pesé, détaillé et lui avait crié : « Abîme ! », tant il l’avait trouvé informe et vide entre ses mains.

- Ô solitude ! soupira-t-il. »

                    Michel Béatrix : « Son Nom de Lumière dans Carthage endormie »


3 - Jean Racine

 

Jean_Racine.jpg

1639

1664

La Thébaïde

1665

Alexandre le Grand

1667

 

Andromaque

 

1688

Les Plaideurs

1669

Britannicus

1670

Bérénice

1672

Bajazet

1673

Mithridate

 1674

Iphigénie

1676

Phèdre

1689

Esther

1691

Athalie

1699

 

2009

… et voilà !


4 - La Terreur et la Pitié

 

               « Humain, trop humain constitue le témoignage d'une crise (…) : « Là où vous voyez de l'idéal, je ne vois que des choses humaines, des choses, hélas ! trop humaines ! »... Je sais mieux l'homme... C'est le seul sens qu'il faille donner ici au mot de libre esprit : celui d'esprit affranchi qui a repris possession de lui-même. L'accent, le timbre de la voix se sont complètement modifiés. (...) Il semble qu'une certaine distinction d'esprit, une certaine noblesse du goût cherche à s'y maintenir constamment contre les courants de la passion. (…) Armé d'une torche dont la lumière ne tremble pas je promène une lumière aiguë dans ces souterrains de l'idéal. C'est la guerre ! Mais sans poudre et sans fumée, sans attitudes belliqueuses, sans emphase et sans jambes cassées, la guerre serait encore de l' « idéal ».

 

                J'étends posément les erreurs l'une après l'autre sur la glace ; je ne réfute pas l'idéal, je le congèle... Ici, par exemple, c'est le « génie » qui se frigorifie ; tournez au coin et c'est le « saint » ; le « héros » gèle sous une épaisse chandelle de glace ; puis la « foi », enfin la « conviction » ; il n'est pas jusqu'à la pitié qui ne se réfrigère fortement, presque partout on voit geler la "chose en soi"... »

Friedrich Nietzsche : « Ecce Homo »
DANTE-et-VIRGILE-by-Gustave-DORE.jpgGustave Doré : « La Divine Comédie »

 

                              « …véritablement mes personnages sont si fameux dans l'antiquité, que, pour peu qu'on la connaisse, on verra fort bien que je les ai rendus tels que les anciens poètes nous les ont donnés. Aussi n'ai-je pas pensé qu'il me fût permis de rien changer à leurs mœurs. Toute la liberté que j'ai prise, ç'a été d'adoucir un peu la férocité de Pyrrhus, que Sénèque, dans sa Troade, et Virgile, dans le second livre de l'Enéide, ont poussée beaucoup plus loin que je n'ai cru le devoir faire.

            Encore s'est-il trouvé des gens qui se sont plaints qu'il s'emportât contre Andromaque, et qu'il voulût épouser une captive à quelque prix que ce fût. J'avoue qu'il n'est pas assez résigné à la volonté de sa maîtresse, et que Céladon a mieux connu que lui le parfait amour. Mais que faire ? Pyrrhus n'avait pas lu nos romans. Il était violent de son naturel, et tous les héros ne sont pas faits pour être des Céladons. Quoi qu'il en soit, le public m'a été trop favorable pour m'embarrasser du chagrin particulier de deux ou trois personnes qui voudraient qu'on réformât tous les héros de l'antiquité pour en faire des héros parfaits. Je trouve leur intention fort bonne de vouloir qu'on ne mette sur la scène que des hommes impeccables mais je les prie de se souvenir que ce n'est point à moi de changer les règles du théâtre. Horace nous recommande de peindre Achille farouche, inexorable, violent, tel qu'il était, et tel qu'on dépeint son fils. Aristote, bien éloigné de nous demander des héros parfaits, veut au contraire que les personnages tragiques, c'est-à-dire ceux dont le malheur fait la catastrophe de la tragédie, ne soient ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants. Il ne veut pas qu'ils soient extrêmement bons, parce que la punition d'un homme de bien exciterait plus l'indignation que la pitié du spectateur ; ni qu'ils soient méchants avec excès, parce qu'on n'a point pitié d'un scélérat. Il faut donc qu'ils aient une bonté médiocre, c'est-à-dire une vertu capable de faiblesse, et qu'ils tombent dans le malheur par quelque faute qui les fasse plaindre sans les faire détester. »

Racine : « Première Préface »


5 - Andromaque…

 

 

ELEGY-by-William-A.-BOUGUEREAU-copie-1.jpg            "…un sourire imperceptible flotte sur ses lèvres ; elle sait, mais ses usages ne le feront jamais paraître, qu'elle appartient à un monde désormais sur la voie de l'engloutissement.

            Ne lui reste que le front haut....

            Les trains ont déjà commencé à partir....

 

Autour d'elle flotte ce qu'elle déteste par-dessus tout : non pas la mort, qu'elle ne craint plus pour l'avoir regardée déjà les yeux ouverts, au-delà du supportable...

 

On peut, on peut, oui, mais au  prix fort, ne pas plier devant un corps mort qui est la moitié de votre chair. On peut, oui, mais à la condition expresse de savoir que votre propre corps n'est rien... Mais le pire : la compromission avec la mort, cette danse de pitres que  d'aucuns appellent la diplomatie, et les plus lucides le report d'un wagon... encore... Et savoir désormais que c'est dérisoire...

   C'est cela, son sourire...


               D'où le frémissement d'horreur intense (mais qu'elle feutrera - ou feulera) qui peut la saisir, comme glacée, quand les convenances - où la simple patience - lâchent devant les risibles atermoiements d'hommes-enfants aux poses mussoliniennes, soit grotesques, soit attendrissantes comme des boucles brunes sur un front que l'on voudrait caresser, parce que de séduisantes poses bravaches sont un  atermoiement face au vide…

 

               Oui, caresser peut-être encore (qui aime mourir ?).

 

Jacques-Vettriano-3-copie-1.jpg               Mais derrière : la conscience irréductible du vide, et cette conscience comme dernière noblesse...

 

               Et la conscience que derrière le vide d'autres voix appellent, qui sont le soubassement même de votre être, le prix de votre conscience, le poids de votre dignité, le sens même, passé au-delà du miroir, du mot "noblesse", le lest du monde, sans quoi il n'est, ce que Racine sait prodigieusement inventer, qu'un Zeppelin fou propre seulement à s'écraser sur tous les flans de montagnes que nos illusions nous présentent comme désirables...

 

On voudrait l'embrasement beau... ce n'est toujours que baudruche qui flambe...


Andromaque sourit... sa race meurt, son enfant est déjà mort. Le reste n'est plus qu'un jeu avec une tombe déjà creusée que l'on repousse parce que l'on se sent vivante encore, mais que l'on aime déjà, aussi..."                                                                                                                                                     Franck Laillaut de Wacquant


(Illustrations - William A. Bouguereau : "Elegy" - Jack Vettriano : "The singing Butler")


6 - « Pendant les guerres…

 

 

Elegy-for-a-Dead-Admiral-by-Jack-Vettria               … les mères inquiètes avaient mis au monde une génération ardente, pâle, nerveuse. Conçus entre deux batailles, élevés au roulement des tambours, des milliers d’enfants se regardaient entre eux d’une œil sombre, en essayant leurs muscles chétifs. (…)Ils savaient bien qu'ils étaient destinés aux hécatombes… mais quand même on l’aurait dû, qu’était-ce que cela ? La mort ressemblait si bien à l'espérance qu'elle en était comme devenue jeune, et qu'on ne croyait plus à la vieillesse. Tous les berceaux étaient des boucliers. Tous les cer-

cueils en étaient aussi. Il n'y avait plus vraiment de vieillards : il n'y avait que des cadavres ou des demi-dieux. (…)

               Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes … quelque chose de semblable à l’Océan, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris. (…)

               Un sentiment de malaise inexprimable commença alors à fermenter dans tous les cœurs jeunes. Condamnés au repos par les souverains du monde, livrés aux cuistres de toute espèce, à l'oisiveté et à l'ennui, les jeunes gens voyaient se retirer d'eux les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leurs bras. Tous ces gladiateurs frottés d'huile se sentaient au fond de l'âme une misère insupportable.

                                                       

                Les plus riches se firent libertins ; ceux d'une fortune médiocre prirent un état et se résignèrent soit à la robe, soit à l'épée ; les plus pauvres se jetèrent dans l'enthousiasme à froid, dans les grands mots, dans l'affreuse mer de l'action sans but.

               Comme la faiblesse humaine cherche l'association et que les hommes sont troupeaux de nature, la politique s'en mêla. (...) Mais des membres des deux partis opposés, il n'en était pas un qui, en entrant chez lui, ne sentît amèrement le vide de son existence et la pauvreté de ses mains. »

Musset : « Confession d’un Enfant du Siècle »

486px-Giovanni_Battista_Tiepolo_043-d-ta(Illustrations - Jack Vettriano : "Elegy for a dead Admiral" - Tiepolo : "Le SAcrifice d'Iphigénie")


 7 - « Où suis-je ? Qu’ai-je fait ? Que dois-je faire encore ? »

Acte 5. Scène 1. Vers 1393

 

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Photo : Olivier Driian 

Claire Lebobe-MaximeAndromaque : « Reine de Troie, butin de guerre. Reine, en Epire, du cœur de Pyrrhus. Anesthésiée : définitivement insensible aux joies, aux peines, aux plaisirs, aux douleurs, au bonheur, aux batailles et au repos. La vie continue et passe, sur laquelle je flotte comme un grand lys. Maternelle encore par réflexe. Royale jusqu’au bout : le trône d’Epire sur lequel je succèderai à Pyrrhus assassiné. »

 

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Photo : Olivier Driian 

Jean-Marc LouaisilPyrrhus : « Je sais : elle pourrait être ma mère, mais je l’aime. Et je suis son maître. Je suis sûr que mon père comprendrait. Enfin, je crois… ! Auréolé de son nom, de ses exploits et des miens, je me suis déjà fait, à dix-neuf ans, un prénom. J’aime et suis doublement aimé. Je jouis à plaisir égal de ma gloire et de mes amours. »

 

DSC01388detail.JPG

Photo : Marion de Saint Vaast 

Céline BarbarinHermione : « Ah ! ne me parlez plus de ma mère : objet de guerre, sujet d’opéras et de plaisanteries… ! Ne parlez tout simplement plus d’elle ! Parce que moi je suis qui, je fais quoi dans tout ça, avec mon roi cocu de père qui continue à lui courir après, avec Pyrrhus, avec Oreste ? Je ne suis pas que la fille d’Hélène ! »


01323d-tail.jpgPhoto : Marion de Saint Vaast

Hervé TharelOreste : « Portrait chinois… Un objet : un pion. Une couleur : rouge crise. Un itinéraire : un labyrinthe. Un fil : Hermione. Une fleur : le désespoir du peintre. Un animal : le lapin blanc et pressé de Alice au Pays des Merveilles. Un mot pluriel et chaotique : dé-pression(s). Un pays : Hermione. Avec un éclat de rire qui gémit dedans. »


_G1L4941d-tail.jpgPhoto : Olivier Driian

Aurélien MétralPylade : « Au corps à cœur des amb(r)assades. Grandeur et misère de l’ami confident. J’aurais peut-être dû me faire psy : Oreste n’est pas toujours – on pourrait dire : jamais – facile à gérer. A force d’avoir peur pour lui, je finis par avoir peur pour moi. De quoi rira celui de nous deux qui, le dernier, rira… ? »


_G1L5051d-tail.jpgPhoto : Olivier Driian

Françoise JardelCléone : « Grande copine souffre-douleur d’Hermione à laquelle je me voue corps et âme. Naïvement complice de ses frasques, de ses ambitions et de ses tumultueuses velléités. Accompagnante fidèle, craintive, joyeuse, apeurée, admirative, négligée et… terriblement sentimentale. »


ANDRO-2009---Michel-BEATRIX.jpgPhoto : Marion de Saint Vaast

Michel BéatrixPhoenix : « Gouverneur de Pyrrhus après avoir été celui d’Achille, son père. Vieux briscard, spectateur distant de l’arène politique dans laquelle je n’accompagne le petit que par affection. Familier de toutes les têtes couronnées. J’ai bien connu Hector et Andromaque, avant la guerre. »


_G1L4939d-tail.jpgPhoto :Olivier Driian

Marion de Saint-VaastCéphise : « Confidente d'Andromaque qui me traite parfois de "geôlière sévère et autoritaire"... Je ne la comprends pas toujours mais respecte ses choix. Seule alliée qui lui reste, je la pousse à se révéler, à divulguer ses pensées, ses désirs, ses intentions tout en souhaitant qu’elle cède à Pyrrhus, qu’Astyanax soit sauvé et que la dynastie troyenne triomphe. »

8 - La Parole Théâtrale

2008.10-01b-CRYPTE.jpg                                                            Photo : M.B

         Voici donc le troisième rendez-vous auquel nous répondons avec ce lieu magique et généreux qu’est la crypte Saint-Joseph. Lieu d’accueil et de partage, il va, cette fois encore, jouer son rôle à plein puisqu’il sera celui-là même dans lequel Pyrrhus convoque et reçoit la Grèce et ses Ambassades. Parfums et rythmes d’avant-guerre…


          Pour son accueil et son écoute, nous remercions chaleureusement le père Jean-Rémy Falciolla, notre ami de longue date, rencontré en 1996 lors de la création du "Récit de la Passion" de Péguy dans le cadre des célébrations du centenaire de la basilique de Fourvière.


          C'est avec lui que nous avions conçu en 2003, dans le cadre du festival "La Chair et Dieu", de monter "Polyeucte" de Corneille à la cathédrale Saint-Jean (où une représentation fut donnée en plus de celles qui eurent lieu à l'église Saint-Martin d'Ainay). Le titre phare de ce festival nous a vivement interpellés sur notre art et notre vocation, et nous a incités à poursuivre notre travail de création sous son éclairage. Nous en avons éclairé la parole théâtrale et son acte, et ne l'avons plus trouvée seulement résonante d'humanité mais vibrante d'interrogations sur la création et son Créateur, fût-il nommé Dieu ou hasard. De ce point de vue, le théâtre est la célébration de l'homme et la liturgie de sa parole.

 

A ce titre, il nous paraît judicieux et urgent de la faire entendre et se réfléchir en nous dans les lieux propices à son écoute, sa réception et sa méditation, de lui rendre sa prééminence sur le spectacle. La Crypte Saint-Joseph peut devenir et être ce berceau d’Art et de Créations…


         Heureux et honorés d'être reçus et hébergés au sein de la communauté paroissiale, nous y vivons notre présence comme une opportunité de lui offrir celle d'y accueillir à son tour, et d'une façon plus large, celles et ceux, connus ou inconnus, qui, plus que du spectacle ou de la distraction - fussent-ils culturels - demandent et cherchent à se rencontrer.


          Depuis la création de « Polyeucte » de Corneille, la Cie Michel-Béatrix a monté « Tartuffe » de Molière, « L'Annonce Faite à Marie » de Claudel, « Les Bonnes » de Genet, « Dom Juan » de Molière et « Pilate » de J.Y Picq.

 

 

9 - De son propre aveu...


MB-par-Thomas-B22.JPGMichel Béatrix est « entré en théâtre comme d’autres entrent en religion ». Sans avoir jamais vraiment su à quoi, il s’est toujours senti appelé : c’est le propre des vocations.

 

La solide formation littéraire et théâtrale qu’il a reçu de ses maîtres et amis, la co-direction de l’Arcane-Théâtre (1975-1984) lui ont très patiemment appris à reconnaître, à suivre et à exprimer ses choix artistiques moins dans l’esprit d’un plan de carrière que dans celui d’un véritable apprentissage d’artisan.

 

Les auteurs classiques (Corneille, Goldoni, Hugo, Laclos, Molière, Musset, Racine, Shakespeare…) et contemporains (Anouilh, Gent, Ionesco, Mishima, Obaldia, Pinter, Tchekhov, Strindberg, Vauthier, Xenakis…) qu’il a joués et/ou mis en scène, ainsi que son propre itinéraire intérieur lui ont permis d’asseoir et de concilier métier et sensibilité.

 

03098.jpgDe Phèdre de Racine (1976) à Andromaque de Racine (2008) en passant par La Confession d’un Enfant du Siècle de Musset (1982), Les Liaisons Dangereuses de Laclos (1995), La Passion de Péguy (1996), Polyeucte de Corneille (2003), Tartuffe de Molière (2004-2005), L’Annonce Faite à Marie de Claudel (2007), Les Bonnes de Genet (2008), Dom Juan de Molière (2008) et enfin Pilate de Jean-Yves Picq (2009), un même fil conducteur a toujours guidé Michel Béatrix dans une interrogation sur l’Amour et la Langue leurs origines qui nous dépassent et leurs implications qui nous emportent

 

Homme de théâtre, de cinéma et de télévision, Michel Béatrix est un comédien à multiples facettes qui irise ses rôles, aussi bien que les comédiens qu’il dirige, de reflets variés qui soulignent la richesse et la densité des ombres qu’il sait leur et se préserver.

 

Carrière atypique que celle de ce comédien, auteur, metteur en scène et enseignant pour qui la pratique du théâtre est avant tout celle du Vivant. Pratique qu’il prolonge, développe et partage dans les stages qu’il anime sur le thème L’Intime et l’Apparent, ou en milieu scolaire dans celui des modules d’accompagnement dont il est chargé, pour l’étude des pièces inscrites au programme des classes de premier et second cycle.

 

" Le théâtre est la célébration de l'homme et la liturgie de sa parole. A ce titre, il nous paraît judicieux et urgent de la faire entendre et se réfléchir en nous dans les lieux propices à son écoute, sa réception et sa méditation. "

Photo : M.B

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4 août 2009 2 04 /08 /août /2009 22:25

 

Jusqu'au 26 juillet, vous aviez deux bonnes raisons pour venir apprécier Andromaque, la fameuse tragédie grecque que présentait pour clôturer sa saison la Compagnie Michel Béatrix : pour l'intensité des passions que les comédiens ne pouvaient que vous communiquer, et pour la fraîcheur bienvenue et le décor décalé que vous trouviez dans la crypte de l'église Saint-Joseph des Brotteaux. Un avant-goût de la saison prochaine ?


         

Destin, devoir, sacrifice, folie et amour passionnel s'entremêlent dans la pièce de Racine. L'histoire est tragiquement simple : Oreste aime Hermione, qui veut plaire à Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui n'aime que son fils Astyanax et son défunt mari Hector. Chaîne amoureuse qui va inéluctablement exploser sous nos yeux.


Cette pièce de Racine, créée en 1667, arracha des pleurs à la cour royale, qui fut émue par le lyrisme de cette tragédie. Un peu plus de trois siècles plus tard, difficile de n'être pas ému à notre tour devant la quête désespérée de ces personnages qui courent dignement à leur propre perte. A souligner, la prestation des huit comédiens : ils nous livrent au plus près le cœur d'un texte, qui, loin de figer l'émotion par une rigidité supposée de l'alexandrin, la magnifie.
 

"Racine a besoin de vous"…

 

Ces mots laissés sur le livre d'or vont forcément droit au cœur de Michel Béatrix, le directeur et metteur en scène de la compagnie éponyme. "Comme pour Pilate, notre précédente pièce, "force" et "beauté" apparaissent à plusieurs reprises dans les commentaires des spectateurs. Mais ce "Racine a besoin de vous" est le plus responsabilisant !". Pourtant, la mise en scène a de quoi surprendre au départ : dans un décor de salon chic et épuré, où sont disposées des tables basses blanches que viennent seulement colorer quelques revues people, des chaises sont disposées tout autour.  Abolissant l'opposition scène/public, les comédiens viendront même au cours de la pièce s'asseoir à l'occasion près de vous ! "C'est un théâtre de chambre, le spectateur est là, à sa place".

Une transposition moderne qui rapproche paradoxalement cette Andromaque de son contexte originel : "avec ce décor et ses costumes symbolisant une réunion mondaine, comme par exemple les coulisses d'un G8, le but est d'adopter la même attitude que Racine avec ses contemporains. En plein dans son siècle, sa pièce contenait en effet beaucoup de similitudes avec des événements rythmant la cour du roi. A tel point que cela a gêné Louis XIV, qui pour dompter Racine en a fait son historiographe officiel... ce qui a d'ailleurs marqué la fin des grandes oeuvres du poète tragique."
 

La saison 2009-2010 se dé-crypte


Un an après avoir investi la crypte de l'Eglise Saint-Joseph des Brotteaux dans le 6ème arrondissement de Lyon, Michel Béatrix s'y plait : "ce lieu n'a pas tous les standards des salles classiques, avec leur guichet, leurs gradins... Et nous n'avons pas voulu la "déguiser" comme telle : du coup les gens sont surpris mais finalement détendus, ce qui modifie leur capacité de réception des pièces. Et ils n'ont pas à redouter des leçons de spectacle étouffantes !".


La saison prochaine y donnera donc rendez vous, mais pas seulement : "la saison à venir va être un peu spéciale. Nous commencerons du 3 au 29 novembre par la reprise d'Andromaque justement, puis nous entrerons en lien avec le calendrier spirituel, et jouerons 3 spectacles en mars, durant le temps de carême : "Le Récit de la Passion" de Charles Péguy ; la reprise de "Pilate" de Jean-Yves Picq  (pièce jouée en mars 2009, ndlr), pièce aride qui a pourtant déclenché une passion ; la création des "Avant-dernières Paroles de l’Homme" (de Michel Béatrix, ndlr). Nous profiterons ensuite du mois de juillet, période privilégiée de détente, pour une pièce qui pourrait être un reprise de L'Annonce faite à Marie. Cette pièce de Claudel avait remporté un succès remarqué en 2007 à l'Abbaye d'Ainay. Mais je me réserve un droit de joker pour cette dernière œuvre..."

Davy LAURENS : "SORTIR - LYON RHÔNE ALPES"

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