3ème reprise
du 7 au 25 juillet 2010
Crypte Saint-Joseph des Brotteaux
mercredi : 19h - jeudi, vendredi, samedi : 21h - dimanche : 17h
(relâche les lundis et mardis)
CLAUDEL A LYON... DE TOUTE URGENCE !
Du théâtre. Du très bon. Du comme-ça-devrait-toujours-être : dépoussiéré et physique, entièrement sur le bout de la langue. Rarement entendu un texte aussi dur à l'égard de la famille. Aussi fort. La distribution est ad hoc. Et le public en état de choc après chaque représentation.
Frédéric Houdaher
Avec
Michel Béatrix
Anne Vercors
Natasha Bezriche
La Mère & Chants
Françoise Jardel
Violaine
Claire Lebobe-Maxime
Mara
Jean-Marc Louaisil
Jacques Hury
Hervé Tharel
Pierre de Craon
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Jeune fille, Violaine a été désirée par Pierre de Craon, bâtisseur de cathédrale, porteur de la lèpre qu’à son tour elle a contractée en lui donnant un baiser.
« Que sa jeune sœur ait saisi cette occasion pour lui prendre son fiancé ; que le père ait soutenue l’aînée, la mère, la cadette ; que l’aînée, malgré la déchéance survenue, ai pourtant prêté assistance à sa terrible sœur, que cette dernière lui ait montré sa reconnaissance en la tuant ; que les derniers moments aient été ceux d’un pardon général : voilà tous les éléments d’un drame domestique autour de la rivalité de deux sœurs que l’art et la fable n’ont cessé de répéter ou de retrouver. »
Michel Autrand
Méli, mélo, drame ou… mystère ?
"Ici le baiser, qui doit être administré avec beaucoup de solennité. Violaine de bas en haut prend la tête de Pierre entre ses mains et lui aspire l'âme..."
Claudel : "L'Annonce..." - Fin du Prologue
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"Michel Béatrix amène ses comédiens à une incarnation splendide et épurée. Dieu soit loué !
Le texte révélé. Il arrive chez Claudel (ou Bernanos ou Péguy), que l’insistante ferveur religieuse de l’auteur étouffe parfois, par des chapelets prosélytes, la beauté simple des mots. Le grand mérite de Béatrix et de ses comédiens est d’avoir réussi par un jeu sobre, dépouillé de toute envolée mystique excessive et de génuflexions verbales (si l’on peut passer l’expression) à accéder à la chair du récit, à sa sensualité. Le « miracle » de la pièce y est ici traité de manière humaine et intelligente : libre à chacun de le recevoir selon sa conscience. Ensuite, pour désenclaver l’histoire de sa gangue catholique stricte, et lui conférer une plus universelle valeur, des chants empruntés aux cultures rom, kabyle ou juive ont été insérés pour accompagner certains points d’inflexion dramatique que Natasha Bezriche interprète avec grâce et feu (…) Enfin la pleine clarté qui enveloppe la scène nous conduit à vivre dans la proximité et à partager les affects des personnages. Un beau moment."
Vincent Raymond : « Tribune de Lyon » Juillet 2007
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« O ma fiancée à travers les branches en fleurs...
...salut ! » : la réplique de Jacques Hury est accompagnée, dans la première version de la pièce, de la didascalie suivante : « Il [Jacques] regarde, qui vient par le sentier sinueux , Violaine toute dorée qui par moments resplendit sous le soleil entre les feuilles ». Dans la seconde version, celle dite pour la scène, l’indication scénique est réduite à : « Violaine est au dehors, invisible ». A ce jeu des différences, on reconnaîtra que Michel Béatrix a fait le choix de cette dernière pour monter le spectacle proposé à Lyon l’été dernier. Car c’est bien derrière un rideau noir, la rendant peut-être et justement doublement invisible, que Violaine est dissimulée au regard de Jacques, qui paradoxalement la devine pourtant derrière des branches fleuries (il faut alors remonter aux deux premières version de La jeune fille Violaine pour bien percevoir l’évolution dramaturgique de cette scène qui, à nos yeux, est une des plus belles du répertoire du théâtre français).
Pour autant, ce jeu des différences, tout aussi académique que mutin, est bien vain : nous le savons, la vie de Jacques va de toute manière chavirer (celle de Violaine ayant déjà basculé). A la fin de la scène, l’avenir fera désormais partie du passé, et rien n’y changera, quelque soit la version retenue. Rien ne compte plus alors que le talent d’un metteur en scène et de comédiens, qui, dans le cas présent, est éminent.
Que ce fut en effet pour cette scène, mais aussi pour celle du baiser à Pierre de Craon, pour celle du départ d’Anne Vercors, pour celle bien évidemment où Mara vient présenter son enfant mort à Violaine, Michel Béatrix sait réinventer, et d’une certaine manière ré-initier (avec l’idée d’initiation du spectateur, voire avec celle très classique de catharsis), l’émotion originelle.
Il y a, c’est vrai, comme une sorte de curiosité espiègle, pour un amateur, à se rendre à chaque nouveau rendez-vous claudélien que la scène propose. A l’abri des certitudes, celles que nous ont forgées nos maîtres et nos expériences, nous allons assister à des spectacles, à un Echange, à un Partage, à un Soulier, ici à une Annonce, et c’est finalement moins à la découverte d’un risque pris par un homme ou une femme de théâtre, qu’à la découverte de nous-même que nous sommes parfois convié. Ce fut tout du moins ici le cas, ce qui n’est pas aussi fréquent malgré les paris lancés par tel ou tel.
Ce pari, Béatrix l’a pris dans une église (Saint-Martin d’Ainay, à l’occasion du neuvième centenaire de sa dédicace) : ce qui n’est pas d’une originalité abyssale (l’auteur de ces lignes a peut-être plus vu d’Annonce dans une église que dans un théâtre !). Mais en prenant ce pari, il a aussi pris parti : celui de faire tenir un vrai rôle à cette église (à une chapelle latérale plus précisément). Il fait jouer le lieu : il profite de l’acoustique romane pour faire entendre des chants, pour beaucoup kabyles, intermèdes musicaux bien sûr non prévus par Claudel, mais tout à fait crédibles en la circonstance (interprétés, et du même coup rendus évidents par la comédienne qui joue le rôle de la Mère) ; la disposition de la scène, où s’installe de part et d’autre le public sur deux rangées de fauteuils, contribue à intégrer très naturellement les spectateurs à l’action (au départ d’Anne Vercors, ils sont même invités à partager le pain rompu par le maître de maison) ; Violaine, quand Mara lui rend visite, est réfugiée dans un confessionnal, lieu de l’isolement le plus absolu puisque seul Dieu, par l’oreille du prêtre, y est présent.
Mais notre analyse ne saurait être, espérons-le, probante que si nous soulignions, en deçà des éléments qui la composent, l’humilité résolue de Michel Béatrix face au texte, ce qui nous rapproche comme rarement de la parole de Paul Claudel.
Christian-Yves Pratoussy : « Bulletin de la Société Paul-Claudel » Octobre 2007
Photos : Michel Béatrix - Ferruccio Nuzzo
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Photos : 1-3-5-6-F.Nuzzo /
2-M.de Saint-Vaast / 4-M.Béatrix